Abîme : gouffre naturel, cavité, précipice d'une profondeur insondable, ou lieu, espace qui n'a pas de limites assignables – Dictionnaire Larousse
Abîme : ruisseau jurassien se frayant un passage au fond de gorges abruptes qu’il a creusé patiemment durant des millénaires.
Au cours des quatre milliards d’années d’existence de notre planète, des phénomènes extrêmes dont l’ampleur est difficile à imaginer à hauteur d’homme ont à plusieurs reprises anéanti presque totalement le lent et patient travail de construction du vivant, bouleversant des écosystèmes dans lesquels des espèces s’était développées en fonction des conditions d’alors. Ainsi, après des millions d’années de règne, le temps des dinosaures a fini par prendre fin mais la vie a pu continuer son cours en explorant d’autres voies, à partir de bribes existantes. Des espèces se sont adaptées à ce nouveau contexte, amenant à des formes de développement originales, innovantes, mettant en place de nouveaux systèmes complexes, intriqués, d’une incroyable résilience, exploitant des interactions quasiment infinies.
La persistance du vivant réside dans la capacité du système à s’autoréguler en corrigeant les déséquilibres. Or, il ne fait maintenant plus aucun doute que la domination sans partage de l’espèce humaine est une source majeure d’instabilité. Force et de constater que les prévisions des scientifiques faites lors des cinquante dernières années sur la pression délétère qu’exercent nos activités sur notre environnement se sont souvent avérées optimistes. Les tendances constatées par de nombreuses études montrent à quel point les effets néfastes de notre modèle de développement déséquilibrent, détériorent, détruisent les milieux que nous occupons.
Malgré des alertes de plus en plus appuyées, des rapports de plus en plus précis basés sur des recueils de données chiffrées, d’analyses poussées, nous peinons à prendre conscience de la réalité brutale à laquelle nous allons être confrontés. Des discours rejetant notre funeste responsabilité continuent même à nier l’évidence. Nous continuons à accélérer toujours plus en direction de l’abîme que nous avons-nous-mêmes creusé, entrainant avec nous les cohortes d’espèces qui partagent notre ère.
A cette échelle, l’unité de temps réglant l’univers n’étant comparable ni à celle de notre vie d’homme, ni même celle de nos civilisations, de nouvelles espèces reprendront possession de l’espace que nous aurons laissé libre, de nouveaux ordres prendront la suite et les déchets que nous aurons laissés, même les plus polluants, même les plus durables, finiront par disparaître. Les gens de ma génération auront cependant eu le triste privilège de pouvoir constater de leurs propres yeux, durant le bref instant que constitue notre passage sur terre, les changements dont nous aurons été à l’origine. Nos plus anciens souvenirs nous permettent déjà de décrire un monde qui n’est plus tout à fait le même, et je suis maintenant convaincu que l’impérieuse nécessité de changement interviendra trop tard pour pouvoir préserver l’équilibre qui prévalait jusqu’alors.
Dès lors, que faire ? Le poids de mes actions étant infime, dois-je essayer malgré tout de chercher à rendre mes comportements plus vertueux, sachant que mon statut d’homme occidental n’est pas compatible avec la durabilité de mon cadre de vie ? Dois-je participer sans crainte à cette danse mortifère sans regrets et sans retenue ?
Je suis convaincu que le train a déjà commencé à dérailler et que, quoi que je fasse, je ne pourrai pas l’empêcher de poursuivre sa course infernale. Par chance, il me reste le spectacle sans cesse renouvelé d’un lever de soleil sur la campagne, le chant des oiseaux au petit matin, le gazouillis de l’eau dans les gorges de l’Abîme, la poésie et quelques chansons qui continuent à me bouleverser.
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