Si vous êtes un fidèle lecteur (soyez-en ici remercié), vous savez sans doute que je parcours les chemins de très bon matin, que ce soit pour photographier dès l'aube les paysages de Bourgogne ou d'ailleurs, ou alors m'installer pour un affût et observer la faune locale. Si vous n'êtes pas un familier, je vous souhaite la bienvenue et vous encourage à lire les articles précédents, vous en apprendrez plus sur ma démarche et tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Dans les dernières semaines, j'ai multiplié les départs nocturnes, quittant la maison au moment charnière où la lumière commence doucement à monter en intensité, lorsque la nuit est encore maîtresse mais s'apprête à céder la place. J'ai ainsi effectué à pieds et à de nombreuses reprises les deux kilomètres et demi séparant la maison de mes lieux d'affût habituels, chargé de mon matériel et traversant dans une obscurité quasi totale, sans frontale ni lumière artificielle, un bout de forêt qui jouxte le village.
Il est étonnant de ressentir, au moment où l'on s'enfonce sous le couvert, cette pointe d'excitation qui n'est pas sans rappeler la tension que j'avais enfant lorsque je jouais à me faire peur. A cet instant, je perçois à peine le sentier qui traverse la frontière entre deux mondes, et seule la connaissance des lieux me permet de m'orienter. Le chemin est peut-être à peine plus foncé que le sous-bois alentours, mais passé la limite des première branches, j'avance presque à l'aveuglette. Cette forêt, qui est généralement un lieu paisible, fait instantanément rejaillir les peurs ancestrales de l'espèce. Je pense donc je suis, mais ma rationalité est mise à l'épreuve des sens, et justement, privé de l'acuité visuelle, l'imagination prend vite le dessus.
J'ai beau savoir (quel dommage !) que la magie de nos contes d'enfant est enfermée à jamais dans les livres, la nuit et la forêt me feraient presque croire encore aux farfadets et aux esprits. Un souffle, une brise, ou une branche qui nous frôle, et le rythme cardiaque s'accélère irrépressiblement. De peur il n'y a pas, pas vraiment, mais le cerveau reptilien qui loge au plus profond de notre boîte crânienne nous incite à la prudence et il suffit de peu pour qu'il mobilise la totalité de nos énergies pour le combat, ou la fuite... J'imagine que les regards des hôtes des lieux sont pointés sur moi. Un oiseau s'envole à mon passage et lance un cri d'alerte. Le rythme cardiaque monte encore d'un cran. Les nuits ont dû être longues et angoissantes pour les clans primitifs, à l'heure où l'homme était encore une proie.
Les temps ont passé et notre domination sur le monde ne souffre aucune contestation. Nous avons mis sous coupe réglée tout ce qui bouge ou pas, jusqu'à la matière, mais seul dans un environnement pourtant proche, je me sens presque inadapté. La nuit est toujours pour nous porteuse de craintes et d'angoisses. Est-ce pour les repousser que nos villes et nos villages restent éclairées la nuit, comme une veilleuse dans une chambre d'enfant ?
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