Quand je veux aller faire des photos dans un endroit que je ne connais pas, mon premier réflexe est de regarder une carte et d'analyser le terrain. En fonction de l'environnement, mer, montage, forêt ou campagne, je repère les lieux qui, potentiellement, pourraient être intéressants pour faire de belles images. Bien entendu, la perception qu'on peut avoir sur le papier n'est qu'indicative et ne présage en rien de ce à quoi ressemble le paysage, mais les indications que je peux y glaner sont précieuses. Relief, présence d'eau, orientation par rapport au lever du soleil sont autant d'indices qui permettent au moins de s'orienter. Pour le reste, il faut avoir un peu de chance non seulement pour que le lieu choisi soit photogénique mais aussi pour que les conditions soient favorables. Dans le pire des cas, je profite toujours de la découverte d'un bout de notre terre.
Lors d'un récent séjour en Normandie, nous logions aux abords d'une vaste forêt (forêt de Cérisy) et les quelques renseignements pris dans des guides touristiques indiquaient, entre autres, la présence de gibier. Après avoir fait mes repérages IGN, j'avais décidé d'aller promener mes chaussures et mon appareil photo en direction d'une clairière, frontière entre deux mondes et lieu d'échange par excellence. A la première heure du jour comme à la dernière, les animaux ont tendance à profiter de ce que l'homme se fait plus discret pour tenter des escapades en milieu ouvert. Nos activités prennent beaucoup de place, nous avons tendance à prendre nos aises avec notre environnement et les expériences de l'animal sauvage à notre contact ne lui sont, d'une manière générale, pas très favorables.
Le champ objet de ma visite était vide, mais comme souvent aux aurores, la brume et le soleil donnaient, le temps d'une partie de cache-cache, des impressions de surnaturel et de féerie dont j'ai parlé dans mon texte précédent. Les bois, par eux-mêmes, étaient très beaux, bien entretenus et peuplés de vénérables ancêtres à la ramure magnifique parmi lesquels les hêtres et les chênes rivalisaient de majesté. J'observais, je profitais du spectacle et je laissais mes sens s'imprégner de l'environnement. L'humidité, la température un peu fraîche, la brise qui venait faire danser les brins d'herbe et la lumière du début de journée ... pour citer le poète, je pourrais écrire que là, tout n'était qu'ordre et beauté, luxe calme et volupté.
Après avoir reculé de quelques pas sous les frondaisons, je me délestai de mon sac à dos et commençai à photographier le sous-bois, espérant retranscrire dans mes images un peu de la beauté du lieu. J'étais absorbé à ma tâche, concentré sur les troncs et les fougères, les rayons de soleil et les reflets qu'ils faisaient naître quand, presque par hasard, je la remarquai au milieu de l'espace découvert que j'avais quitté des yeux quelques instants. Je prends un énorme plaisir à photographier le paysage, mais à chaque fois que, dans mon champ de vision apparaît un animal, mon souffle s'accélère et je suis gagné par une sorte de fébrilité. Ces moments sont rares et donc précieux, et je suis frappé à chaque fois de la noblesse de la faune sauvage, qu'elle soit oiseau, lièvre ou chevreuil, et plus encore, ce matin-là, en face d'une biche, animal que je rencontrais pour la première fois de ma vie.
Nous avons appris cette semaine que nous avions fait disparaître plus des 2/3 des vertébrés qui peuplaient le vaste monde il y a cinquante ans. Nous vidons les océans de la vie qui les anime pour les remplir de plastique, nous brûlons, volontairement ou non l'Amazonie, la Californie ou l'Australie, nous capturons, chassons, repoussons tout ce qui n'est pas nous, tout ce qui ne nous est pas utile, et je crains que ces rencontres, instants d'éternité, ne soient bientôt plus que des souvenirs.
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