Si sur notre planète, le temps s'écoule de manière régulière et avec la constance d'un métronome, la perception qu'on peut en avoir est, elle, totalement variable. Pour l'illustrer, il m'est quasiment impossible de dire, ne serait-ce qu'approximativement, combien de temps je suis resté à contempler ce spectacle matinal qui n'avait pourtant pas encore livré toute sa splendeur.
Je repris le chemin qui m'avait amené jusque là et je le poursuivis en direction du sud, empruntant la route traversant la combe menant jusqu'au lac d'Antre. Je franchis quelques barrières électriques destinées à contenir les Montbéliardes qui paissaient ici, et commençai à gravir la colline située plus ou moins au centre de cette longue langue de prairies entourées de forêts. Je jetais régulièrement un œil en arrière au fur et à mesure que je prenais de la hauteur et de la distance vis à vis de la tourbière pour contempler l'évolution de la lumière sur le paysage. J'avais une impression étrange de voir des fumerolles s'élevant du sol, un peu comme dans les zones volcaniques où les sources d'eau chaude rejettent de la vapeur dans l'atmosphère.
Le halo très lumineux qui nimbait le sol de la combe rendait visibles les rayons obliques du soleil levant. Les ombres des bouleaux se projetaient selon le même angle sur les herbes hautes et les bruyères qui recouvraient les zones les plus humides, restées vierge du travail des hommes. Au loin, une courbure du terrain se dessinait au fur et à mesure que le soleil gagnait sur l'ombre qui reculait à chaque seconde vers le fond de la scène. Pour finir le tableau, des vagues de brume s'effilochaient sous la brise, naissant et disparaissant au gré du vent et des conditions atmosphériques.
J'avais quasiment le soleil en face de moi et il fallait que je prenne garde aux éclats lumineux sur mon objectif. J'étais une fois de plus sidéré par le spectacle, la douceur de ce matin de juillet et la quiétude absolue qui se dégageait de ce paysage. Je pus faire quelques clichés, dont un panoramique dont je suis assez satisfait mais qui se prête mal au format du blog. J'aurai sans doute l'occasion de le publier à l'occasion d'une nouvelle exposition temporaire.
Je ne compte pas les sorties matinales durant lesquelles je trimballe mes quelques kilos de matériel avec la seule satisfaction d'avoir parcouru le vaste monde, sans même avoir sorti mon appareil photo. Je ressentais souvent une forme de frustration lorsque j'ai commencé à m'investir sérieusement dans cette activité, mais avec un peu d'expérience, on comprend que la réussite vient essentiellement de la persévérance et que la rencontre entre un paysage, une lumière le mettant en valeur et une envie de photographe est aléatoire et nécessite de remettre souvent l'ouvrage sur le métier. Et puis il arrive que la chance soit de notre côté et qu'une seule matinée offre son pesant d'opportunités qu'il faut savoir alors saisir. La préparation est essentielle, le travail et les réflexes acquis par la pratique sont le meilleur des atouts pour ne pas gâcher l'occasion et passer à côté d'une séance fructueuse. Ce début de matinée fut une de ces parenthèses incroyables, et pour avoir échangé avec un photographe habitué également du lieu, je sais que le lendemain matin fut bien plus terne que ce samedi.
J'espère avoir pu vous faire partager mon enthousiasme au travers de ces trois textes, les quelques photos témoigneront d'une beauté éphémère de ce coin de montagne, même si elles ne pourront jamais remplacer l'expérience du randonneur et de l'amateur de paysage que je suis.
Lu et contemplé avec un immense plaisir cette saga photographique jurassienne. Tout simplement splendide, quel talent. Merci Gilles.😊
Magnifique photo pour fonds d'écran de mon ordi !... et toujours d'aussi beaux textes.
Merci Gilles. Dany