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Photo du rédacteurGilles Buffet

Le fruit de la patience et de l'observation

Dans son excellent livre "La panthère des neiges", Sylvain Tesson relate le voyage qu'il entreprit avec Vincent Munier, photographe animalier, à la recherche d'un mythe, d'un mystère, d'un animal presque disparu, ou qui le sera bientôt. Le félin vit dans les confins de la Chine, dans une zone inhospitalière au possible, à 4.000 mètres d'altitude. Un monde de roches, de froid, de vent et de solitude. Le yack y est en son domaine. Tesson décrit la recherche, mais surtout l'attente, la quête quasi-mystique, des heures durant, et l'incertitude de la rencontre. Durant cette éternité, l'esprit vagabonde, les sens, comme les corps, s'ankylosent, le temps s'allonge et le lien avec notre rythme de vie d'homme moderne disparaît.


Je n'ai ni la chance d'avoir pu me lancer à la recherche d'un grand fauve, celui-ci ou un autre, ni parcouru ces zones lointaines qui gardent malgré la technologie et notre connaissance du monde une part d'inconnu. Je me contente de parcourir les alentours de mon lieu de vie, et sans avoir la présomption de comparer les deux expériences, je m'essaie à l'affût. Malgré la différence entre le récit du livre et ma modeste recherche, j'ai parfois l'impression de retrouver une part des mots de l'écrivain lorsqu'il décrit ces heures en suspension, où l'esprit n'a qu'un but et où le corps se doit de rester immobile et silencieux. Etre invisible aux plus attentifs est un plaisir en soi.


J'ai déjà relaté dans de nombreux articles ma recherche d'un oiseau magnifique qui peuple les bords des sablières et des rivières, le martin pêcheur. A la question, "vais-je pouvoir le photographier ?" j'ai déjà répondu et j'aurais pu m'en satisfaire, mais la recherche de l'oiseau est addictive et le désir de produire de belles images est trop fort. De splendides photos, internet en est plein, je ne suis donc même pas en recherche d'originalité ou d'inédit, mais j'ai continué à observer les rives des étangs, persisté à sonder les arbres et les perchoirs potentiels, je me suis obstiné à venir et à revenir encore, équipé de mes jumelles pour comprendre les habitudes du volatile. Je devrais dire des volatiles, car certains matins m'ont offert une sorte de festival où plusieurs individus zébraient de leur trajectoire rectiligne la surface tranquille des étangs, lançant chacun leur tour le cri caractéristique de l'oiseau en déplacement.


Ce matin, au moment du départ matinal, je n'avais pas totalement choisi ma destination, hésitant entre plusieurs lieux pour me poster. Il faisait encore nuit et j'avais apporté en plus de mon matériel habituel un sécateur. Je savais qu'il faudrait sans doute tailler dans les ronces et les jeunes buissons pour pouvoir dégager une vue avant de m'installer. Les quinze minutes de marche à travers la forêt m'avaient aidé à décider et un quart d'heure supplémentaire allait suffire pour que je sois totalement en place. Il n'était pas encore six heures et l'attente pouvait commencer, enfin.


L'expérience acquise lors de toutes ces séances allait me servir et finalement m'apporter une satisfaction incroyable. La lumière était encore faiblarde alors qu'un jeune volatile venait se percher presque à l'endroit espéré. Un déclenchement aurait été inutile photographiquement et sans doute préjudiciable à la tranquillité de l'oiseau. Je refrénai donc l'envie d'appuyer sur le bouton de l'appareil photo et je profitai totalement de ce moment d'observation. Le martin était en confiance et regardait en toutes direction, y compris la mienne, comme pour se rassurer, avant de plonger et de venir se reposer à nouveau. Puis après plusieurs passages durant entre trente secondes et quelques minutes, plus rien. Le temps passait, des oiseaux d'autres espèces venaient me rendre visite, mais l'objet de ma venue se faisait discret.


Le soleil éclairait maintenant le perchoir qui restait cependant désespérément vide. Huit heures sonnaient à l'église du village quand j'entendis un plouf juste sur ma droite, derrière une jungle inextricable de branches et de feuilles. Il était revenu chercher de la nourriture mais il restait invisible. Puis, sans crier gare, il vint se percher à nouveau sur la branche, sa silhouette se découpant parfaitement entre les feuilles. La luminosité était douce mais suffisante pour qu'on puisse distinguer les détails du plumage magnifique. Je décidai d'attendre une bonne quinzaine de seconde supplémentaires, quitte à perdre cette opportunité pour que l'oiseau se sente en sécurité, et je pus faire une dizaine de photos, profitant entre chaque prise des dodelinements propres à l'espèce et reconnaissables au premier coup d’œil dès qu'on a eu la chance d'en être le témoin.


Ce moment, parfait, fut interrompu par le passage d'un pic, qui me surprit tout autant que notre pêcheur. Je décidai de lever le camp, et au moment de partir, encore assis parmi la végétation, notre visiteur se posa à nouveau sur la branche, le temps de repérer une proie et de plonger avant de s'envoler de nouveau.





Martin pêcheur d'Europe - l'observation

56 vues2 commentaires

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2 Comments


Mary
Aug 11, 2020

Magique !


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Gėrard Demongeot
Gėrard Demongeot
Aug 11, 2020

Superbe !!

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