"Organe généralement souterrain des plantes vasculaires, qui les fixe au sol et qui assure leur ravitaillement en eau et en sels minéraux. Lien solide, attache profonde à un lieu, un milieu, un groupe" (Larousse)
Revenir sur le lieu de son enfance. Revoir des endroits qu'on n'avait pas fréquenté depuis des lustres, les reconnaître un peu. S'apercevoir que les choses ont changé, mais que finalement, on est encore capable d'y associer des scènes qu'on avait fini par oublier. Les souvenirs sont parfois trompeurs, mais la mémoire ancienne, celle qui nous ramène à nos premiers pas, à la famille lorsque celle-ci est restée sur place, est incroyablement vivace.
J'ai eu un père et un grand père attachés l'un comme l'autre à la terre, et plus encore à la forêt. Les arbres, nous les coupions pour assurer le chauffage de la maison. Tronçonner, ébrancher, empiler, fendre, scier et ranger. Manier la serpe, la tronçonneuse pour les adultes, et reprendre encore et encore les même morceaux avant qu'ils ne finissent par entrer dans l'âtre ou dans la chaudière. Le foyard (hêtre), le sapin, l'épicéa ou le frêne...
Bien au delà de ce travail de bûcheronnage parfois rébarbatif pour un enfant et plus encore pour un adolescent, la forêt était un lieu d'activités familiales. Travailler ensemble, parcourir avec les cousins les quelques arpents que le grand-père avait achetés, patrimoine à la valeur sentimentale beaucoup plus qu'à la valeur marchande. Le printemps donnait l'occasion d'aller cueillir des jonquilles et plus exceptionnellement du muguet, l'hiver donnait le houx pour décorer la table de Noël et le sapin sous lequel seraient déposés les cadeaux. Et l'été, au milieu, était l'occasion de profiter de la fraîcheur du sous bois pour des pique-niques familiaux et, souvent, pour une partie de pétanque sous les frondaisons.
Puis le temps a passé, les bûcherons sont partis et nos occupations nous ont amenés loin des arbres et des terrains familiaux. Nous savions toujours où les parcelles se trouvaient, à peu près, nous y pensions sans doute un peu, à l'occasion, mais sans vraiment se donner les moyens d'y retourner. Puis une organisation de gestion forestière proposa récemment, pour dynamiser les forêts des particuliers qui, comme nous, avaient oublié d'entretenir leur patrimoine, de faire un tour du propriétaire pour évaluer si des coupes étaient à faire ou si les maladies et les ravageurs n'avaient pas mis à mal les différentes essences. Nous décidâmes d'un vendredi après-midi de printemps, au temps du Corona virus, pour retourner sur les propriétés familiales.
Le technicien qui nous accompagnait s'appuyait sur des cartes, le cadastre et un GPS pour trouver les parcelles, morcelées, mais toujours entourées des murets posés là, dans des temps immémoriaux. Ces pierres calcaires avaient été regroupées pour séparer les possessions, mais aussi et surtout pour que le sol puisse être cultivé dans le meilleur des cas, pâturé sinon. Les alignements, quoique recouverts de mousses, défiaient le temps et servaient de base pour se repérer. Les constructeurs l'auraient-ils seulement imaginé ? Nous, nous avions encore notre mémoire, imprécise, mais empreinte de tellement de souvenirs. Après le chemin, si je tourne à droite, je dois arriver à un éperon rocheux, au lieu dit "la passoire"...
Le temps a fait son oeuvre, et la forêt a continué de pousser. Les jeunes sapins, hêtres, poursuivent leur bataille pour la lumière et la gestion sage du grand père, qui souhaitait mêler les espèces, les a prémunis des maladies. Entre deux discours économiques, le technicien dont le travail consiste à évaluer des rendements fini par lâcher ... c'est beau ici ! Nous ne saurions lui donner tort !
Comme toujours, quel bonheur de te lire. Surtout lorsque nos souvenirs se mêlent et s'entrechoquent. Merci pour cette récréation, cette bulle de plaisir au milieu du tumulte de ma journée.
Quel joli texte! Si tu savais tout ce que ton récit a évoqué pour moi! Tout un pan de mon enfance avec des forêts plus modestes que les tiennes, mes parents, mes jeunes frères et soeurs, un temps révolu empreint de joie. Ces tas de pierres ramassées pour accroître la surface cultivable et délimiter les parcelles ont pour nom ‘murées’ sur notre ‘Montagne’ à .... 420 m d’altitude! C’était au temps où les paysans existaient encore. Beaucoup de ces murées ont disparu pour accroître la surface cultivable en supprimant tout obstacle aux équipements des exploitants agricoles depuis le remembrement. Celles qui restent hébergent une végétation variée qui les cache et sûrement les préserve.
Les arbres: quel beau patrimoine! Sera-t-il conservé…