Marcher lentement, pas à pas, en prenant garde de ne pas poser le pied sur une branche ou une brindille.
Avancer, regarder à droite, puis à gauche, écouter, tendre l'oreille, respirer, humer, et avancer encore.
Épier, observer, être attentif au moindre mouvement, au moindre bruit, à la moindre tache de couleur.
Parcourir le chemin petit à petit, et à chaque croisement avec un sentier, un autre chemin ou une allée de débardage regarder à droite, puis à gauche, lentement, silencieusement. S'imprégner des bruits de la forêt, des branches qui s'entrechoquent, des feuilles qui bruissent, des chants d'oiseaux et des cris d'alerte du geai ou du merle. Là, sur le chemin qui part à droite, entre les arbres, il me semble apercevoir un brun qui ne ressemble ni à un tronc, ni à un fourré, ni à des feuilles. Respirer lentement et observer. La masse brune a bougé un peu. Je me baisse et je continue à scruter à travers les fûts. J'avance à croupetons, en marchant en canard comme je le faisais enfant, et je fini par le voir.
Une tête couronnée vaque à la recherche de jeunes pousses, de bourgeons ou d'une touffe d'herbe nouvellement poussée. Bien que je sois à bon vent, l'animal lève la tête et regarde alentours. Sans doute a-t-il perçu quelque chose, un bruit, un mouvement, ou une effluve. Je reste totalement immobile. Je suis à découvert, mais ma position basse ne lui permet pas de me détecter. Il reprend sa quête de nourriture, s'arrêtant de temps à autre pour regarder dans ma direction avec un brin d'inquiétude peut-être, une tension certainement. J'appuie sur le déclencheur, à plusieurs reprises mais en prenant la précaution d'espacer mes appuis pour éviter que le bruit n'effraye le chevreuil.
Pendant plus d'une minute, nous poursuivons ce tête à tête unilatéral, l'un ne voyant pas l'autre mais sentant peut-être sa présence. De mon côté, je profite de ces instants où la respiration s'accélère, où la tension est maximum, où tous les sens sont aux aguets et où l'on a l'impression d'être connecté avec la nature. J'attends qu'il prenne l'initiative de raccrocher, qu'il reparte à travers la forêt, me laissant des souvenirs forts et des histoires à raconter.
Ah, la magie de l'instant présent ...